« Les arts de la scène comme forme(s) de réparation(s) à l’épreuve de la Covid-19 »

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Journée d’études et de pratiques artistiques

« Les arts de la scène comme forme(s) de réparation(s) à l’épreuve de la Covid-19 »

25 février 2021

En partenariat avec le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD) et l’Université Paris 8.

Projet porté par Giuseppe BURIGHEL & Juliette RIEDLER, avec le soutien de l’équipe de recherche Scènes du monde, axe Histoire (université Paris 8).

Comité scientifique de docteurs et doctorantes en Théâtre et Danse de l’équipe Scènes du monde, axe Histoire (université Paris 8) : Giuseppe Burighel, Sunga Kim, Leonardo Mancini, Climène Perrin, Juliette Riedler.

Présentation

Du 17 mars 2020 au 11 mai 2020 en France, mais plus largement du début de l’année 2020 au début de l’été 2020 dans le monde, suite à l’explosion de cas de personnes touchées par un virus, le coronavirus, le monde s’est confiné. Les frontières des États se sont closes, comme celle des commerces hormis ceux de “première nécessité”. Établir des séparations nettes entre la bonne santé et la maladie a conduit à enfermer les corps de manière autoritaire. Paradoxalement, l’argument avancé pour justifier cette stricte séparation des corps était le fait que tout le monde est potentiellement malade. On peut transmettre le virus sans avoir de symptômes de la maladie, et diffuser la mort dans la société, sans le vouloir, et par amour – embrassant ses grands-parents, par exemple. Les frontières entre la vie et la mort, malgré la plus rigide séparation des corps jamais connue en Occident – l’espace public devient interdit –, se sont floutées, descendant dans les corps au niveau microscopique. Nous sommes toutes et tous potentiellement vecteurs de la Covid-19, et cela justifie nos enfermements et assujettissements, rendant éclatant l’exercice du biopouvoir (Foucault, 1976). Nous vivons collectivement un moment de peur de l’autre, quand le théâtre se fonde sur la représentation et le partage de l’altérité. Comment penser le geste artistique, le rôle, la place et la fonction des arts vivants dans ce cadre ? Qu’est-ce que les arts vivants peuvent et ont pu réparer, dans l’histoire, aux niveaux individuel et collectif ?

Appel

La réparation chez l’humain peut représenter une forme de dédommagement matériel ou moral, telle une forme de compensation voire de consolation. Elle a à voir avec la justice. On peut apporter une réparation à une souffrance ou à une violence subie par l’intervention d’un tiers, de la

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même façon qu’on peut remédier à un sentiment de culpabilité, ou d’injustice, ressenti soit par inadéquation personnelle soit en raison d’une fracture qui se serait produite au niveau du tissu social. La réparation ne pouvant trouver son accomplissement qu’à partir de la prise de conscience du mal ou de la maladie, elle s’exprime selon des actions de dénonciation afin de porter un regard critique sur la cause. Elle a également à voir avec les affects. En ce sens, le principe de réparation est reconductible aux processus de la catharsis, entendue comme la purgation de l’âme des sentiments les plus néfastes, cette faculté paradoxale et mystérieuse propre au spectacle tragique selon Aristote, de transformer des sentiments désagréables en plaisir.

La scène peut réparer la violence de l’histoire par le témoignage. Rwanda 94, créé par le Groupov pour parler du massacre du peuple Tutsis, est un exemple de “tentative de réparation symbolique envers les morts à l’usage des vivants”. La réparation touche aussi au réel lorsqu’elle inclut le corps du performer, tel Alain Buffard, alors atteint du sida, qui se met en scène dans Good Boy (1998). Elle est enfin celle d’une histoire, ou d’histoires de corps invisibilisés par le pouvoir, ainsi les créations en collaboration avec des publics divers (porteurs de handicap, détenus, seniors, adolescents, migrants, etc.), au coeur d’une “esthétique de l’émancipation” (Isabelle Alfonsi, 2019). Selon Nicolas Bourriaud, la scène est devenue le lieu d’exploration des formes de la réparation sociale, “pour éprouver les capacités de résistance de l’art à l’intérieur du champ social global” (Nicolas Bourriaud, 1998), et donner une tentative de réponse à l’indignation, aux blessures qui peuvent avoir leurs sources, entre autres, dans l’individualisme, les inégalités et la marchandisation des corps (Luc Boltanski, Ève Chiapello, 1999). La question de la réparation à l’épreuve de la Covid-19 a été politisée et prise en charge par les artistes de la scène eux-mêmes. En Italie, le metteur en scène Gabriele Vacis aura proposé d’ouvrir les théâtres à la communauté des citoyens durant toute la journée, pour que le théâtre puisse enfin exercer ses fonctions de service social (Lettres ouvertes, 28 avril et 7 mai 2020). En France, c’est Jeanne Balibar qui rédige une tribune signée par nombreuses.eux artistes demandant , au président de réparer l’oubli de la culture dans les mesures d’aides financières.

La dimension du care, surtout prise en charge par les femmes dans nos sociétés, est apparue vitale (Carol Gilligan 2009, Sandra Laugier, 2011). Elle invite à s’interroger sur les formes de réparations notamment incarnées par les voix des femme dans l’art, ces voix « mineures » dans le cadre du patriarcat entendu comme force et culture hégémonique (C. Gilligan, 2019). Elles peuvent être symbolisées par deux séquences médiatiques qui encadrent la période du confinement en France. Celle du départ d’Adèle Haenel de la cérémonie des Césars récompensant Roman Polanski accusé de violences sexuelles, qui inspire à Virginie Despentes le slogan “Désormais, on se lève et on se barre” pour signifier la sécession féministe d’avec les logiques mortifères et morbides des modes de domination patriarcaux ; l’autre, celle de Camélia Jordana dénonçant sur la chaîne publique

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France 2 les violences policières subies par les personnes racisées et affirmant sa “peur de la police”, engageant ainsi un déconfinement dans la colère. Qu’est-ce qui a été réparé par cette crise ? Qu’est-ce qu’elle a brisé, en termes réels et symboliques ? Quelles nouvelles logiques de visibilité et d’invisibilité ont-elles été révélées ?

Axes de réflexion

1. Historique.Historicisation des liens entre les arts de la représentation et la maladie. Quelles sont les formes de l’actualisation du processus de catharsis dans les arts de la scène ? Dans quelle mesure les formes de la réparation marquant la scène à l’époque de la Covid-19 sont-elles dans la continuité avec les scènes du XXe siècle voire avec la scène des époques moderne et ancienne ?

2. Esthétique. Quelles formes et hybridations, quels modes de relation au spectateur ont-elles été inventées durant la période de confinement ? Quelles puissances particulières de la musique et de la poésie ont-elles été mises à et au jour durant la période de confinement en Europe ? Comment la maladie, la violence et les fractures sociales sont-elles en train de réorienter les genres et les gestes artistiques ?

3. Socio-politique.Quel est le discours qui accompagne les formes de la réparation ? Quel est le rapport entre le discours des artistes et celui des institutions dans les formes de la réparation ? Comment la gestion de la Covid-19 nous a-t-elle montré encore une fois la prégnance des rapports hommes/femmes dans la représentation non seulement de la médecine (combien de virologues femmes se sont exprimées en France ? En Italie, le gouvernement avait constitué une commission pour gérer la crise sans prévoir de femmes) mais aussi de la prévision du « monde d’après », et qu’est-ce que cette périodisation raconte de notre rapport au politique ?

4. Genre.Quels équilibres femmes/hommes la crise de la Covid-19 a-t-elle modifié, des points de vue réel et symbolique ? Qu’est-ce qui, dans les schèmes de visibilité relevant du féminin et du masculin dans nos sociétés, fut altéré et renforcé en même temps ? Quelle(s) forme(s) de réparation(s) les voix des femmes incarnent-elles dans les arts vivants ? Dans quelle mesure peut-on les élargir à celles des minorités invisibilisées ?

5. Anthropologique, écologique. En quoi les arts de la scène sont-ils un terrain d’analyse privilégié pour penser les liens entre la mort et la vie ? Quels nouveaux rituels et modes de relation les un·es aux autres, aux vivants et au vivant et aux mort·es ont-ils été développés dans les arts de la scène pour répondre au vide existentiel masqué par les mesures d’urgence ? La Covid-19 étant une

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zoonose, comment cela conduit-il les artistes et les chercheuses·rs à intégrer la dimension écologique dans leurs modes de création, de production et de réflexion ?

Auteurs, localisation, périodisation.

Chercheuses et chercheurs, doctorants et doctorantes, artistes de la scène.

Tous les pays qui connurent le confinement lié à l’épidémie de la Covid-19, à partir du début de l’année 2020 jusqu’à la date de lecture de cet appel.

Propositions

La journée d’études et de pratiques artistiques a été conçue selon l’idée d’une “temporalité hybride” : elle se déroulera autant que possible en présence, et pourra être captée en images et en sons, diffusée en streaming via les réseaux sociaux ou faire l’objet d'enregistrements vidéo pour l’espace numérique. La page web de la manifestation pourra héberger en amont certaines propositions susceptibles d’être visualisées et/ou commentées via les réseaux sociaux, et servir de support aux interventions (articles, entretiens filmés, portfolio, interventions en direct, etc.).

Nous demandons aux auteurs et autrices de nous envoyer une proposition de 250 mots et de nous préciser la session de travail dans laquelle il.elle.s inscrivent leur proposition, parmi les suivantes:

  1. Séances de communications d’une vingtaine de minutes suivies d’un échange critique avec les participant·es. Les communications pourront être pensées sous la forme d’un projet audiovisuel. En ce cas, sauf si le document final est déjà disponible, merci de nous fournir une description ou note d’intention du projet, sa durée, son type de format, son support.

  2. Un (ou plusieurs) atelier de réflexion critique.Les propositions retenues - il peut aussi s’agir de bribes de fiction ou d'interrogation sur la « mise en fiction » des expériences liées à la Covid-19 - feront ensuite l’objet d'un texte de 15 000 à 35 000 caractères (espaces compris), demandé aux auteurs et autrices et remis aux participant·e·s à l’atelier 3 semaines avant la journée d’étude de telle sorte que chacun·e puisse le lire et en débattre.

  3. Des pratiques performatives. Les propositions doivent préciser les conditions pour des ateliers ou exercices d’une demi-heure suivis d’un échange critique avec les

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participant·e·s. Par exemple : des répétitions masquées, des ateliers d’échauffement ou de répétition sans contact physique rapproché, des répétitions par visioconférence, etc.

Langues de communication : français, anglais.

Sous-titres en français ou en anglais du texte audio.

Remise des propositions avant le 30 novembre 2020 à envoyer à artscovid19@gmail.com avec un bref CV de l’auteur ou de l’autrice.

Communication des propositions retenues le 30 décembre 2020

Les intervenant·e·s sont invité·e·s à ne pas laisser de côté, voire à prendre en charge, de manière explicite ou implicite, sur la modalité du récit, de l’image, ou toute autre, leur propre expérience du confinement, afin de ne pas traiter de manière trop abstraite une réalité qui nous est fort proche, à l’égard de laquelle nous manquons évidemment de recul, et dont la gravité – sans nul esprit de sérieux, et qui n'interdit pas, ô combien, la légèreté et la grâce de l’art – nous encourage à avancer nos idées les pieds sur terre.

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