Congrès de l'AFEA : Power and empowerment in American music and dance

date limite: 
dates:  -
lieu:  Aix en Provence

Adeline Chevrier-Bosseau (Sorbonne Université) et Mathieu Duplay (Université Paris Cité)

En tant que pratique physique, incarnée, la danse est un acte d’empouvoirement où le langage du corps prend le relai de la parole verbale et investit physiquement ce processus, apportant une visibilité et une présence concrète immédiate à des voix tues ou marginalisées. On pense ainsi au voguing, qui donne à la communauté LGBTQ+ racisée une plateforme où ces voix et ces corps divergent.e.s peuvent non seulement s’exprimer, mais également jouir d’une fierté qui leur et refusée dans l’univers blanc hétéronormé mainstream et représenter une communauté, une famille choisie (« house »). A ce sujet, on s’interrogera sur ce qui est en jeu quand une figure mainstream de la pop, Madonna, reprend des mouvements de voguing dans son clip vidéo pour la chanson «Vogue». Plus largement, cet atelier invite les participant.e.s à réfléchir à l’articulation entre danse et pop music, à travers les chorégraphies sophistiquées et ‘empowering’ d’icônes pop comme Beyoncé, le groupe Destiny’s Child, Lady Gaga ou même Taylor Swift – à laquelle le New York Times a récemment (août 2023) consacré un article dans la rubrique « Danse », analysant précisément l’efficacité des chorégraphies de Mandy Moore en termes d’empouvoirement de la chanteuse, mais aussi de son public. On pense également à l’usage que fait Beyoncé de la ‘formation’ pour son titre éponyme, et à l’articulation entre ses chorégraphies et le mouvement BLM ou la lutte féministe.

On pourra s’intéresser aux croisements entre art chorégraphique et luttes politiques, community-making et visibilité de communautés marginalisées à travers des exemples comme Martha Graham, dont la pièce Chronicle (1936) entièrement dansée par des danseuses a été qualifiée de « dance of empowerment » par le New York Times (mai 2019), le New Dance Group, la Workers’ Dance League, ou la colonie d’artistes dont rêvait Ruth Saint Denis, qui devait signer la revitalisation de l’art américain, la libération des corps et des créativités, et une forme de résistance au prosaïsme de la productivité capitaliste. D’autres pistes possibles sont à trouver du côté de la danse post-moderne (Yvonne Rainer, Anna Halprin, Trisha Brown, Lucinda Childs,...), ou, dès l’origine, à la genèse de la danse américaine, qui dans sa volonté d’américaniser le mouvement porte un projet d’empouvoirement des corps américains dont le langage physique se veut distinct des modèles européens.

En ce qui concerne la danse classique et néo-classique, on pourra s’intéresser aux danseurs et danseuses qui ont trouvé dans leur pratique et dans leur carrière des formes

d’émancipation et d’empouvoirement – on pense par exemple aux « cinq lunes » (Rosella Hightower, Moscelyne Larkin, Yvonne Chouteau, et les sœurs Marjorie et Maria Tallchief), toutes issues de tribus natives de l’Oklahoma, ou à des danseurs et danseuses Latinx ou afro- américain.e.s, qui se sont imposé.e.s dans un art européen, de tradition aristocratique et blanc. Il est également pertinent de proposer des analyses chorégraphiques de ballets comme In the Middle, Somewhat Elevated, de William Forsythe (1987), qui donna un de ses rôles les plus puissants à la jeune Sylvie Guillem et incarne non seulement la culture de l’empowerment des années 80 mais plus particulièrement l’empouvoirement au féminin. Dans cette perspective, les rôles de femmes fatales chez Balanchine (la Sirène dans Prodigal Son, par exemple) pourront également être analysés en détail.

Aux Etats-Unis comme en Europe, la musique dite « savante » n’est pas seulement une pratique ou un ensemble de pratiques artistiques, c’est aussi une institution dépositaire d’une autorité culturelle, politique, économique ; mieux encore, c’est un champ (Bourdieu) parcouru de forces qui se heurtent et bien souvent s’affrontent dans un combat qui a pour enjeu le pouvoir, sa conquête et sa contestation parfois radicale. C’est à l’opéra que les riches bourgeois observés par Edith Wharton dans The Age of Innocence (1920) se donnent à eux- mêmes le spectacle de leur supériorité ; ils associent la musique à la défense de leurs privilèges, à un discours de la disqualification et de l’exclusion artistique et sociale : « No one but [Adelina] Patti ought to attempt the Sonnambula », lance Lawrence Lefferts d’un ton méprisant comme si seule la plus grande diva de l’époque méritait un tant soit peu d’être entendue. Pourtant, c’est aussi à l’opéra que Walt Whitman fait l’expérience d’un lyrisme démocratique, ouvert à la multiplicité des conditions sociales, nourri par l’apport de l’immigration européenne et creuset de nouvelles formes spécifiquement américaines de subjectivité. L’histoire de la musique américaine se lit tout entière à la lumière de ce paradoxe. D’un côté, la musique est le symbole et l’instrument de hiérarchies que l’on peut vouloir renverser ou utiliser à son profit, mais dont on est bien obligé, dans tous les cas, de prendre acte ; et ces hiérarchies prennent sens en rapport avec les enjeux de pouvoir qui traversent la société américaine tout entière : ainsi, la carrière de la contralto afro-américaine Marian Anderson (1897-1993) peut se lire comme une série de victoires pour le mouvement des droits civiques, depuis son concert historique au Lincoln Memorial le 9 avril 1939 jusqu’à son entrée au Metropolitan Opera le 7 janvier 1955 (elle fut la première artiste noire à s’y produire). De l’autre côté, la figure idéalisée du maverick, du créateur inclassable et rebelle n’a pas cessé depuis les origines de hanter l’imaginaire musical américain ; nombreuses sont

ses incarnations dans la vie réelle, tels Harry Partch (1901-1974), pionnier de la microtonalité et facteur d’instruments visionnaire, ou La Monte Young (né en 1935), proche du mouvement Fluxus. Plus nombreux.ses encore, les musicien.ne.s qui cherchent à remporter des victoires sur le terrain institutionnel sans pour autant renoncer à la posture anticonformiste du maverick – signe que ces deux positions ne sont pas réellement antithétiques et que la singularité capable d’échapper à toutes les hiérarchisations sans pour autant les faire disparaître est ici la clef du véritable empowerment.

Les propositions de communications pourront porter sur les thèmes suivants :

  •  Les représentations du pouvoir sous ses différentes formes dans la musique, la danse et le théâtre musical américains (Aaron Copland, Lincoln Portrait ; John Adams, Nixon in China...) ;

  •  Les stratégies d’empowerment déployées par les musicien.ne.s (compositeurs.trices ou Interprètes), danseu.r.se.s et chorégraphes issu.e.s des minorités ethniques, religieuses ou sexuelles ;

  •  Les structures institutionnelles de la vie musicale et chorégraphique américaine, entre affirmation et questionnement des différentes formes de pouvoir culturel, économique, politique... ;

  •  Les usages de la musique et de la danse dans des contextes extra-musicaux / extra-chorégraphiques en rapport avec des stratégies d’affirmation, de conquête ou de questionnement du pouvoir ;

  •  Musique, danse, pouvoir et empowerment dans les autres arts (littérature, cinéma, arts plastiques...).

    Merci d’envoyer vos propositions (250-300 mots) ainsi qu’une notice biographique à Adeline Chevrier-Bosseau (adeline.chevrier-bosseau@sorbonne-universite.fr) et Mathieu Duplay (mathieu.duplay@u-paris.fr) avant le 19 janvier 2024.